L’islam mystique d’Eva de Vitray .
Si on se contentait de mesurer la valeur d’un parcours aux seules traces laissées, une certaine perplexité s’imposerait à propos de l’islamologue Eva de Vitray-Meyerovitch .Son oeuvre est impressionnante,elle compte au moins une quarantaine d’ouvrages à son actif,est précieuse pour tous ceux qui aspirent à mieux appréhender l’islam,même si le souvenir de son nom a presque disparu des sphères officielles .Son ardente quête de vérité, un certain anti-conformisme, un sens inné de la liberté intérieure expliquent-ils cet oubli ? Peut être peut on aussi l’attribuer à une certaine prévention bien française à l’égard de l’Islam.Née dans une famille catholique ,mariée à un juif, devenue musulmane à 45 ans , elle deviendra une spécialiste du soufisme, première femme à diriger un département du CNRS et première femme invitée à enseigner la philosophie comparée à l’université d’El Azhar, au Caire .
Réconcilier les musulmans avec la beauté de l’Islam .Nourrie de réponses aux questions qu’elle se posait déjà dans son enfance,travaillée par une quête de vérité et de connaissance que ses proches ne semblaient pouvoir entendre ,Eva de Vitray laisse derrière elle des écrits profonds, lumineux et simples dans leur expression: outre les traductions du Mathnawî,du livre du dedans de Rûmi ,les ouvrages en prose d’Iqbal, elle s’est intéressée aux fondamentaux de l’islam( l’islam l’autre visage) , à la prière, à l’ésotérisme islamique dont elle réunit une anthologie du soufisme , à la vie et l’oeuvre de Rûmi (Rûmi et le soufisme) ou à la danse des derviches tourneurs de Konya . Sur son lit de mort, un ami révélera la peur d’Eva de n’avoir pas accompli assez de choses utiles, comme si elle n’avait pas conscience de l’héritage qu’elle laissait derrière elle.Les écrits d’Eva de Vitray sont pourtant de ceux qui réconcilient les musulmans en souffrance de la beauté de l’islam,et qui ouvrent à l’islam du cœur les cheminants n’ayant pas trouvé ailleurs de route praticable .Elle donne des clés de compréhension plus que jamais nécessaires en ces temps de simplification et de stigmatisation. En 1999, elle sera ensevelie dans le carré musulman du cimetière de Thiais, en banlieue parisienne.Devant le risque de voir sa dépouille déplacée vers la fosse commune au bout de dix ans , des amis turcs réussiront à ,la faire transférer à Konya , à quelques mètres à peine de la tombe de Rûmi .Elle est la seule occidentale à avoir sa place dans ce carré sacré.Eva de Vitray est parvenue à dépasser les formes extérieures pour atteindre l’essentiel : » La religion est le piedestal d’où l’âme peut s’envoler en un voyage intérieur vers la liberté de l’être » .
ULTREIA N°5 AUTOMNE 2015 Marie Odile Delacour (extrait) .